Le domicile des personnes âgées fait grandement jaser dans la sphère publique. Avec le vieillissement accéléré de la population québécoise et la perspective d'avoir une personne sur quatre âgée de plus de 75 ans d'ici moins de 10 ans, il n'est guère étonnant que les enjeux liés à leurs lieux de résidence soulèvent autant de questionnements et de passions. Pendant que plusieurs formules sont développées pour offrir de nouveaux milieux de vie aux personnes âgées, que ce soit en résidences privées pour aînés (RPA) ou des Maisons des aînés, la grande majorité des personnes âgées aspire à vieillir chez eux, lieu chargé d'histoire et de souvenirs, le plus longtemps possible, un souhait qui apparemment croît avec l'âge.
Le dernier numéro du magazine de l'Esquisse s'est penché sur les défis du maintien à domicile dans l'article Chez soi jusqu'au bout. Mais jusqu'au bout de quoi ? Alors que plusieurs aînés s'imaginent vivre jusqu'à la fin de leur vie dans leur domicile, c'est plutôt le bout des ressources disponibles qu'elles soient financières, sociales ou liées aux services de soins et de santé offerts à domicile qui enclenchera le processus de décision qui les mènera à s'exiler dans un milieu qui leur est étranger.
Cette décision de vieillir à domicile ou de déménager est généralement discutée par les intervenants du secteur public chargés de guider les aînés en perte d'autonomie à partir de considérations liées à l'état de santé, au niveau d'autonomie et guidé par des enjeux d'accès aux soins et de sécurité physique (Légaré et al., 2015). Cependant, aborder cette question sensible depuis une perspective axée sur la santé et l'autonomie réduit les multiples facettes d'une vie à la seule dimension de l'autonomie et oriente la recherche d'un nouveau milieu de vie sur les services de soins et de santé requis. L'environnement bâti est alors relégué à ses composantes physiques objectives, sans égard pour le sentiment d'appartenance et d'attachement à la résidence et à la communauté pourtant si important pour le maintien d'une bonne santé physique et mentale favorisant l'autonomie des aînés. Les valeurs personnelles de la personne âgée face à son domicile sont ainsi évacuées de la réflexion de rester ou non.
Or, une synthèse des connaissances portant sur les facteurs influençant la décision de continuer à vieillir dans son domicile ou de déménager révèle que la réflexion est beaucoup plus complexe pour les personnes âgées. Elle comprendrait en réalité 88 facteurs d'influence pouvant être regroupés en six dimensions, soit la dimension socioéconomique et état santé, la dimension économique, la dimension sociale, la dimension psychologique et psychosociale, la dimension de l'environnement bâti et naturel ainsi que la dimension temporelle et spatiotemporelle (Roy et al., 2018). La réflexion de rester à la maison doit certes prendre en considération les données objectives liées à la santé et aux capacités de la personne âgée (âge, limitation physique) et de son environnement bâti (standard de domicile, accessibilité universelle, proximité des services), mais également les souvenirs, les activités routinières, les réseaux sociaux et familiaux, ainsi que les significations sociales que représente leur domicile. C'est ce qu'on appelle un chez-soi.
Lorsqu'on parle de conception de milieu de vie pour les aînés, que ce soit dans l'adaptation de leur domicile existant ou dans la construction d'une nouvelle installation, il est primordial d'éviter les solutions toutes faites basées sur des problématiques généralisées. En effet, de la même façon que personne ne vieillit ni n'expérimente la perte progressive de ces capacités physiques de la même manière, les relations unissant une personne âgée à son domicile sont diverses et complexes. Les solutions d'adaptation doivent donc être toutes aussi variées que les enjeux. Par exemple, alors qu'un aménagement universel avec des circulations larges répond aux besoins d'une personne âgée nécessitant une chaise roulante pour se déplacer, ce même aménagement pourrait accroître la perte d'autonomie d'une personne avec des limitations visuelles requérant plutôt une cloison pour guider ses déplacements. Dans la même optique, la reconfiguration des pièces d'un domicile pour créer des espaces plus généreux favorisant un accès universel peut limiter la capacité d'un aîné à recevoir pour la nuit des proches et, par le fait même, remettre en question les perceptions qu'il a de son rôle social au sein de sa famille.
Comme architecte, nous contribuons à approcher le milieu de vie des personnes âgées d'un point de vue humain, en proposant des interventions ciblées conformes aux besoins et aux valeurs de chaque personne âgée. Ces interventions s'inscrivent davantage dans une approche globale mettant en lumière les perceptions affectives, un environnement supportant les pertes d'autonomies et en intégrant les aspects urbains et communautaires. Le développement de ces solutions innovantes d'adaptation de domicile existant des aînés ou de réaménagement de quartier adapté à une population vieillissant devrait davantage être encouragé et valorisé, car combinées à une offre bonifiée de soins et services de santé, elles permettent de répondre aux aspirations des aînés de continuer de vieillir dans leur chez-soi sans sacrifier leur autonomie, leur rôle social ou leurs projets.
Références
Légaré, F., et al. (2015). Improving decision-making on location of care with the frail elderly and their caregivers (the DOLCE study): Study protocol for a cluster randomized controlled trial. Trials, 16, 50.
Roy, N., Dubé, R., Després, C., Freitas, A., Légaré, F. (2018). Choosing between staying at home or moving : A systematic review of factors influencing housing decisions among frail older adults. PLoS ONE 13(1): e0189266. https://dois.org/10.3171/journal.pone.0189266
photo: Jacques Nadeau le devoir image