Lundi dernier le gouvernement du Québec a dévoilé le Réseau express de la Capitale (REC), soit « sa vision du transport collectif pour la région métropolitaine de Québec ». Cette vision d'ensemble mise sur la complémentarité de quatre grands projets : la nouvelle ligne de tramway de 20km, un tunnel entre Québec-Lévis de 8,3km, l'aménagement de 100km de voies réservées pour les autobus en direction des banlieues ainsi que la desserte de la Rive-Sud par une interconnexion des deux réseaux d'autobus au nord des ponts et l'aménagement de voies réservées aux autobus sur deux tronçons du boulevard Guillaume-Couture à Lévis (moins de 5km)[1],[2].
Tout de suite, on remarque qu'aucune voie automobile existante ne sera enlevée et que les voies réservées aux autobus seront créées par l'élargissement des infrastructures routières existantes. L'allusion graphique à la carte de métro de Montréal peut sembler maladroite puisque 3 des 4 projets ne sont pas en soi des lignes de transport collectif, mais bien des autoroutes élargies pour mieux accommoder le transport en commun sans nuire au trafic automobile.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, il ne s'agit pas dedémarrer un autre débat opposant l'automobiliste et l'usager du transport en commun. Il ne s'agit pas non plus de faire le procès de la banlieue. La banlieue a ses avantages indéniables que la ville ne peut offrir à ses résidents et l'inverse est tout aussi vrai. Et, évidemment, chacun a le droit à son opinion selon son mode de vie et ses habitudes. Par contre, la circulation, l'aménagement du territoire, l'urbanisme et le développement durable sont des sciences et ce sont les données probantes et objectives qui devraient guider nos décisions lorsque nous évaluons le bien-fondé d'un projet tel le REC. L'avis des experts devrait alors peser pour beaucoup plus que l'opinion publique. Voici donc quelques faits et théories qui nous amènent à nous questionner sur ce projet.
On entend souvent que ce sont les automobilistes qui payent pour le transport en commun des autres. Cependant, une étude menée par le Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD) démontre que l'autosolo est le mode de transport le plus coûteux pour la société. Selon Jean Dubé, chercheur au CRAD, pour chaque dollar investi par un automobiliste dans son transport, il en coûte 5 fois de plus pour la société qu'un dollar dépensé en transport en commun[3].
Une autre croyance répandue est qu'en bonifiant l'offre en infrastructures routières on peut ainsi en diminuer le trafic. Effectivement, à court terme, l'élargissement d'une autoroute peut participer à sa décongestion. Cependant, après quelques années, les études démontrent qu'il se produit plutôt l'inverse : l'offre améliorée en transport a généré une hausse dans la demande et génère un volume supplémentaire de trafic, qu'on nomme le « trafic induit ». Cette demande induite est le résultat d'un changement profond dans l'aménagement du territoire et dans le comportement de la population créé par l'amélioration de l'offre. Ce phénomène économique est appelé l'élasticité de la demande.
Selon cette logique, la bonification de l'offre en transport en commun devrait aussi offrir un incitatif à la population de l'utiliser et donc conduire à sa plus grande popularité. En augmentant l'attractivité du transport en commun, on pourrait libérer des automobiles des autoroutes et donc activement participer à décongestionner nos routes! Cependant, lorsqu'on crée un nouveau lien autoroutier, il est fort à parier que même si on lui juxtapose des voies réservées aux autobus, cette nouvelle offre de déplacement rapide en automobile aura l'effet de créer de la concurrence au transport en commun. De plus, ce nouveau lien engendrera certainement une modification importante dans le comportement de ses usagers, jusqu'à atteindre une saturation de son usage. La littérature est claire sur ce point : il n'est pas possible de résoudre le problème de la congestion routière en haussant sa capacité. Les décisions que nous prenons aujourd'hui auront des conséquences directes sur notre comportement de demain.
Un 3e lien peut-être, mais la vraie question est : quelle sera sa finalité, quelle serait la solution idéale? Quel usage permettrait réellement de répondre aux besoins actuels et anticipés de la grande région de Québec ? Autant de questions qui trouveront peut-être réponses dans les prochains mois, en espérant que, comme société, la logique et la science guideront nos pas.
Étant impliqué sur des projets de transport d'envergure à Québec, à Montréal et ailleurs, votre opinion nous intéresse : Quelles sont vos réflexions concernant le nouveau Réseau Express de la Capitale?
[1]Pour consulter la vision gouvernementale du Réseau Express de la Capitale : https://www.rec.quebec/vision/
[2] Pour consulter le projet de transport en commun sur boulevard Guillaume-Couture : https://www.ville.levis.qc.ca/transport-et-infrastructures/bureau-de-la-mobilite-durable/projet-de-transport-en-commun-sur-le-boulevard-guillaume-couture/
[3] Jean Dubé est directeur de l'École supérieure d'aménagement du territoire et de développement régional de l'Université Laval (ÉSAD) et chercheur au CRAD. Pour écouter son entrevue à FM93 et consulter d'autres prises de positions du CRAD dans les médias : https://www.crad.ulaval.ca/actualites/medias-des-membres-du-crad-se-prononcent-sur-le-3ieme-lien
[4] Quelques organismes consultés : Accès Transports Viables, Vivre en ville, Conseil régional de l'environnement – région de la capitale nationale, etc
Images: Site du réseau Express de la Capitale